Le temps de partir au combat approchait. Jusqu'au dernier moment, des couples de guerriers officialisaient leur union. Le colonel Adéhène Mitochondrias célébrait celui auquel Gason assistait ce matin-là, après la nuit passée avec le roi reulou à évoquer le passé. Mitochondrias, un autre héros et vétéran de la IIIe Légion, qui combattit avec sa lance un petit hibou des marais sur le point de le gober et sauva la comtesse Groseilla Okaparka des fourmis. Devant lui, deux jeunes et possibles futurs héros, amoureux et prêts à servir la communauté de Philêouja Pellapolis.

 

 

Le moment fatidique avançait à grand pas. La VIe Légion allait affronter son premier défi. En la créant, Gason Authienoüs avait imaginé les rapports de soumission et de solidarité absolue qui devaient régner entre les jeunes guerriers, les mariages militaires et la totale liberté de moeurs. Tout cela tendait vers le but principal, former une troupe d'élite qui se comporterait comme un seul homme. La Légion des Amants était un groupe à part, une communauté à la fois diverse et homogène, vouée aux quêtes et aux coups d'éclat. Elle pouvait prendre place dans les mythes et légendes de l'Orchide. En espérant que ce ne soit pas par le biais d'un destin funeste. L'échéance venant, les choses s'accéléraient sur le plan sentimental, entre les soldats bien sûr, et aussi entre leurs chefs.

 

 

Gason et Tadéklop Ymmanrestkühn furent encouragés par la cérémonie à ouvrir leur coeur l'un à l'autre. Le roi Reulou vaincu exerçait sans conteste un trouble magnétisme sur son héroïque vainqueur. Gason était prêt à s'abandonner aux plaisirs, et même à une certaine forme de devoir, celui de se soumettre, de faire don de soi à l'autre.

 

 

Le fidèle Philêminion, un peu jaloux, aurait aimé que ce fût moins intense. Ou désirait-il autre chose ? Après tout, le maître de son maître n'était-il pas son maître aussi ?

 

 

Si il y avait eu des observateurs hédoniens tapis dans les oyats autour du camp, ils auraient fait un rapport de situation très rassurant : ces Orchidiens étaient manifestement des jeunes gens évanescents et quasiment désarmés, seulement préoccupés par le plaisir charnel, en duos romantiques à l'ombre des coquillages ou en orgies sauvages qui abolissaient les individualités. Absolument pas des guerriers d'élite qu'il fallait redouter. La IIIe Légion, celle formée vingt ans plus tôt autour des premiers compagnons de Gason, à présent battue, humiliée, on pouvait penser que le plus gros du travail était fait et que l'Empire hédonien allait sortir largement vainqueur du conflit.

 

 

Le jour était venu de se mettre en marche. La VIe Légion n'avait que très peu d'armes mais elle ne manquait pas de courage et de mordant. La Légion des Amants était conduite par les deux princes qui étaient définitivement liés par un respect et une tendresse indestructibles. Les deux chefs étaient tombés d'accord sur la stratégie : on avait sagement laissé les Hédoniens avancer vers le sud-est et leur trajectoire n'avait pas varié. Elle les amenait à seulement deux jours de marche du camp. Il s'agissait à présent de les dépasser et de leur couper la route de l'Authiegane au niveau d'un ancien avant-poste qui était autrefois aux Carrelaginois.

 

 

Nos aventuriers firent des découvertes dans le sable. Des objets étranges perdus ou jetés sans respect par des Grands. C'était amusant, mais sans grande utilité. Gason regarda la glace de poche et son imagination s'enflamma...

 

 

 

Gason ordonna la construction d'un étrange fossé à quelques pas du fort. Une défense bien dérisoire puisqu'il serait facile pour un assaillant de la contourner. Mais Gason dit : "Je ne garantis rien. Essayons simplement".

 

 

 

 

Quintovic et sa suite arrivèrent de bon matin. Gason fut heureux d'entendre de sa nièce Geldoush des paroles rassurantes sur le sort de la bataille à venir. Il n'était pas convaincu que celle connue en Orchide pour être l'Oracle de l'Eau, fût vraiment medium. Mais elle avait sans aucun doute une solide intuition. D'ailleurs, à sa grande surprise, elle lui dit, parlant des Hédoniens : "Ils sont l'ombre qui s'abat, tu es la lumière qui les chassera. Tu les as déjà battus une fois et ils reviennent. Il paieront cher leur aveuglement, j'en suis certaine".

Leur aveuglement ?

 

 

Quintovic avait repris confiance et il visita le fort avec beaucoup de contentement, comme s'il l'avait construit. Sa mère ne pouvait que saluer le retour de sa juvénile vigueur.

Il la reporta un peu plus tard sur un de ses valets.

 

 

Ils s'interrompirent quand quelque chose attira leur attention au loin.

 

 

L'ennemi arrivait. Gason Authienoüs, Ypardanlêvoj et Tadêklop Ymmanrestkühn se souhaitèrent bonne chance et gagnèrent leurs positions.

 

 

Horrifié, frappé de stupeur, Tuparou Tatonsak vit son fils tomber près de lui.

 

 

Tuparou Tatonsak ne voyait plus que sa colère et il se précipita sur l'ennemi.

 

 

Il tomba à son tour, rejoignant son fils bien aimé. Autour de lui, c'était la consternation.

 

 

L'ardeur des Orchidiens fut redoublée et les Hédoniens reculèrent. Quintovic oublia toute prudence et se jeta au-devant de l'ennemi. Un officier le protégea de son corps et tomba blessé à ses pieds.

 

 

Quelques minutes après seulement, les Hédoniens regroupés crièrent qu'ils cessaient de se battre.

Quintovic et Gason Authienoüs reçurent leur reddition.

 

 

C'était terminé. Le temps et les mini-gens étaient comme figés dans ce court instant qui sépare le cauchemar de la réalité.

Le père et le fils, héros de la Légion des Amants, eurent leur mausolée dans les dunes. Après cette bataille décisive, la VIe Légion avait maintenant ses héros parmi ses soldats : tous ceux qui étaient morts et tous ceux qui étaient en vie.

 

 

 

Au lieu de fêter sa victoire, Gason Authienoüs s'éclipsa, juste après l'hommage rendu à ceux qui étaient tombés. Il alla rendre visite à Gêphinyto pour entendre le prix de sa tolérance envers la présence des Orchidiens.

 

 

Le mini-géant avoua qu'il était bien seul depuis qu'il avait accepté la charge de gardien des territoires inhabités. Il s'ennuyait, il manquait d'entrain. Il aimait voir de loin les groupes de petites gens, en particulier les jeunes Orchidiens joueurs et pas farouches qui fréquentaient le secteur ces temps-ci. Il exprima le désir, enfin, il exigea, en y mettant le ton, que Gason lui laisse, pour une année, plusieurs cadets de la VIe Légion, choisis parmi les plus jolis. 

 

 

Le lendemain, Gason revint avec un panel dont la vue extorqua enfin un quart de demi sourire de contentement sur le visage rude du Gardien des Dunes. Le marché était conclu. Les mini-géants accepteraient le voisinage des Orchidiens et une alliance. Puis il ordonna aux garçons de le suivre, ce qu'il firent gaiement et avec curiosité.

 

 

Gêphinyto dit aussi : "Seigneur Gason, donne-moi aussi le joueur de flûte. Il me ravira de son art pendant que les autres me raviront du leur !". Et Gason lui donna aussi le musicien, pour un an.

 

 

Gêphinyto était bien pressé de partir : "Marchons, mini-hommes ! Allons nous abriter du soleil un instant. Ensuite, avant que d'arriver chez moi, ne faites point de bruit : un Grand se dort au soleil depuis ce matin en contrebas."

Un Grand ?! Les jeunes Orchidiens n'en avaient jamais vu de près, pas même ceux de la confrérie des Protecteurs.

 

 

Katapigone était en liesse. L'Orchide attendait le retour de son héros préféré. La reine Bulotricia plaisantait, comme à chaque parade triomphale que le peuple imposait à son ami Gason : "Vous allez voir que sans penser à mal, ils vont encore lui offrir ma couronne ! Pourvu que cette fois il veuille bien l'accepter !".

Partout en ville, c'étaient des fêtes et des banquets. La douceur de vivre orchidienne déployait tous ces charmes et toutes ses gourmandises.

 

 

 

On annonça à la cité l'arrivée du prince Gason.

 

 

La seule chose à laquelle Gason Authienoüs tenait vraiment, c'était à ce que le peuple Reulous soit en paix avec l'Orchide. Bulotricia accéda sans difficulté à son désir et reçut le roi Tadêklop Ymmanrestkühn pour le remercier de cette alliance de circonstance que l'on espérait durable.

 

 

La vraie fête de Gason, de ses amis, de ses amants, eut lieu à l'écart de la ville les jours suivants le triomphe et elle fut bien plus simple, plus belle et joyeuse pour lui.

Personne n'oubliait les épreuves traversées et ceux qui n'en étaient pas revenus. 

On voulait juste croire à la fin des difficultés.

On voulait, avant les prochaines, vivre simplement et bien, ni plus ni moins.

 

 

FIN