Quelque soit le temps, il se trouve quand même quelques Grands pour aimer rôder et s'isoler dans la baie d'Authie, se confronter à la nature réelle, qui ne se laisse pas contrôler. Malgré les réflexes sécuritaires, on n'est jamais vraiment exempté des mauvaises rencontres avec des semelles de chaussures de taille 43, lorsque l'on s'aventure loin à l'extérieur. En toute saison, en tout temps, les petits peuples des dunes doivent rester discrets et prudents.

 

 

L'étang de Passe-Pierre-Ville était clôturé, mis à l'abri de ces incursions.

Au Poisson Bleu comme ailleurs dans la colonie, la plupart des habitants n'avait jamais vu un Grand "de près".

Sergiane ne parlait jamais des Grands, elle ne semblait même pas savoir que ça existait. Elle était plus préoccupée par son "petit". Les jours qui suivirent l'incident à la taverne, elle considéra avec son fils avec un regard sombre, désapprobateur. Le garçon pris en faute dans son délire avait perdu toute envie, tout désir et, pire que tout, toute volonté de travailler. Kouroun était parti sans rien dire, sans même se montrer. Il avait laissé sa voiture et quelques affaires comme s'il avait voulu, espérait-on, marquer son territoire et garantir son retour. Non, il était parti définitivement ; sans doute définitivement déçu par son ami qui ne savait pas contrôler ses pulsions de fuite en avant. A vouloir saisir toutes les occasions, faciles ou pas, de sortir de son quotidien fade, Danilo avait très maladroitement perdu ce qui avait le plus de chances de le réveiller et de donner un nouveau sens à sa vie, à tout.

Leur histoire n'avait pas duré bien longtemps, mais il y avait au moins eu ça entre eux.

Pour autant, est-ce que ça suffisait pour apaiser cette faim de renouveau ? Fallait-il que ça se termine déjà ? 

 

 

 Sergiane ne pouvait pas supporter ce laisser-aller. Elle comprit qu'il fallait accepter certaines choses déjà connues et qui n'étaient pas de sa compétence.

Elle décida d'intervenir.

 

-      Sergiane : ...Ah c'est... c'est joli. Tu lui as construit un nid ?

-      Danilo : Kouroun aime bien construire des cabanes avec tout ce qui lui tombe dans les mains. Je... Je l'ai déçu, tu sais... Lui aussi je l'ai déçu et il s'est enfui.

-     Sergiane : Comme c'est courageux !    

 

-      Sergiane : Tu voudrais qu'il revienne...

-      Danilo : Ce serait mieux pour tout le monde, non ? On a besoin de lui sur le bateau.

-     Sergiane : Un marin, ça se remplace, et on n'est même pas obligé de coucher avec. Et à part pour le bateau ?

 

-     Danilo : Pour moi tu veux dire ? Oui. Aussi. S'il revient... la vie va changer. J'aimerais qu'il...

-     Sergiane : Oui, bin épargne-moi les détails.   

 

-     Sergiane : A propos de détail, j'en ai un qui va t'intéresser. Je me suis renseignée ce matin. Ton héros n'est pas parti bien loin : le fuyard a juste traversé l'étang. Il est au port, il ravaude les filets chez Mékilêkon. Il réfléchit sans doute à l'endroit où il va aller après. Ces nomades du désert sont comme ça. Sans attaches. Un port est seulement un lieu de passage. Nos vies aussi. Fais-toi une raison.

 

 

-     Danilo : Mais tu me le dis quand même. Tu me dis où il est.

-     Sergiane : Si en plus tu m'en voulais si je te le disais pas, je l'aurais mauvaise.

-     Danilo : Et si je reviens avec lui ? S'il reste avec moi ? Tu l'auras mauvaise aussi ?

 

 

-     Sergiane : Fais ce que tu as à faire. Fais pour ton bien. Mais vraiment pour ton bien, pas comme d'habitude quand tu ne réfléchis pas assez.

 

-     Danilo : ...Demain matin, je traverse l'étang.

 

 

 

Le lendemain, vers midi, Danilo arrivait au village qui surplombait la plage où l'on échouait les bateaux.

 

-      Danilo : Bonjour... Excusez-moi. Je crois que Mékilêkon habite là, non ?

-      L'homme : Oui, et il n'a pas changé. Ah mais tu es le fils de Sergiane ! Je viens d'y voir ton matelot, justement.

-      Danilo : Merci.

 

-      Danilo : Kouroun...

 

-      Kouroun : Qu'est-ce que tu fous là, toi ? je suis au boulot.

-      Danilo : Je suis venu te demander si tu voulais pas revenir.

-      Kouroun : "Si je voulais pas" ? Demande-moi vraiment si je veux. Mais cette question-là non plus n'aura pas de sens. On s'est trompé, c'est tout. Vis ta vie, je m'occupe de la mienne. Je n'ai rien contre le fait que tu te prostitues. C'est juste pas une chose que j'ai envie de partager avec mon mec, il ne peut pas y avoir ça entre lui et moi.

 

-      Danilo : C'est juste un jeu ! C'est vrai que je suis un peu tordu. Mais ce sont de mauvaises habitudes, un jeu à la con. Je peux en prendre d'autres. Je m'ennuyais... Tout peut changer, mais ça dépend à quoi ou a qui tu tiens, c'est important pour moi de le savoir. Moi je... j'ai envie que tu reviennes et qu'on continue ensemble. 

-      Kouroun : Tu es tordu et tu comptes sur moi pour te redresser ? Pourquoi pas. Quand j'aime j'ai tendance à dominer. Je tenais à toi... Allez... Fous le camp, tu as mieux à faire ailleurs. Quitte la colonie, change ta vie par toi-même et tu auras plus de chances de le faire ailleurs, finalement.

 

-      Danilo : Tu ne tiens pas vraiment à moi, Légionnaire. Tu aimes dominer et moi je viens me rendre et tu t'en fous. Toi aussi tu as un rêve d'aventure et j'y ai peut-être pas ma place. Je veux quand même essayer...

-      Kouroun : Pas la peine de te rendre, je fais pas de prisonniers. Rentre chez ta mère et trouvez un nouveau marin.

 

-      Danilo : J'ai besoin que tu... Oh et puis... Réfléchis, s'il te plaît. Je bougerai pas d'ici.

 

-      Kouroun : Si tu as vraiment envie que ta vie change, alors je suis dedans, et on continue à deux. Sinon... je n'y suis pas. Alors dis-le !.. Dis-le... Tu as besoin de ?...

-      Danilo : ...J'ai besoin de toi. J'ai besoin d'être avec toi.

 

-      Danilo : J'ai besoin que tu reviennes. Je veux te rendre heureux. Qu'on le soit tous les deux.

 

-      Danilo : Tu as redonné du sens à tout ça. Tu m'as pris dans ton filet. Bien sûr je veux vivre autre chose mais pas sans toi, je m'en rends compte. Tu crois que c'est faisable ?

 

-      Kouroun : Oui, je pense. Un peu en tout cas... C'est pour ça que je suis pas parti trop loin. J'espérais bien que tu viendrais me chercher. Et remonter ton filet à toi.

-      Danilo : Alors... On est ensemble ?

-      Kouroun : J'en ai bien peur ! Mais à partir de maintenant, nos sorties à la taverne se limiteront à boire avec modération se foutre de la gueule du patron ! Viens ! On va faire un tour en voiture. Je vais te redresser, moi...

 

-      Danilo : Je suis à toi, Légionnaire.

-      Kouroun : En route pour le sable chaud. Il y a des choses qu'on ne peut pas faire au village. Même si les gens d'ici, en particulier ceux que je ne connais pas, ont déjà tous l'air de savoir que je suis, je cite, ton "petit copain". En plus ils s'étonnaient de ne pas encore t'avoir vu.

-      Danilo : Il n'y a pas de secrets dans une si petite communauté.  

 

 

Danilo avait relevé son défi personnel et il avait réussi. Il avait couru derrière un homme et l'avait rattrapé pour le ramener à la maison, pour se soumettre à lui, à sa meilleure façon d'envisager leur destin, pour lui donner les codes d'accès de toute sa vie.

Ce qu'il avait trouvé ressemblait bien à de l'amour. Il se sentit heureux et fier de ressentir enfin cela.

 

 

A SUIVRE...

ACTE 6 ET FIN CI-DESSOUS